Agnosticisme
Rubrique Dictionnaire de l'humus (échantillon gratuit)
Humeur :)
Chaque jeudi matin, j'allai au catéchisme - évidemment - et chaque dimanche à la messe. J'écoutais attentivement toutes ces supposées bonnes personnes dont je n'avais pas de raison de me méfier ni de douter. Il faut avouer que l'histoire était si belle ! Je ne pouvais qu'avoir envie d'y croire.
C'est pourtant le doute qui a placé le premier coin dans l'édifice que l'on me proposait pour regarder le monde. Un jeudi dont j'ai l'exact souvenir, aussi précis qu'un clip de Youtube, j'ai douté de la validité du raisonnement présenté par le prêtre du catéchisme. Il soutenait que les athées (on disait encore les Païens !) prouvaient l'existence de Dieu par leur volonté farouche de le combattre :
« Voyez-vous, mes enfants, pourquoi donc les Païens s'attaqueraient-ils à Dieu s'il n'existait pas ? »
J'appris plus tard que ces Païens n'étaient devenus des Païens qu'au moment où ils ont été définis comme tels par les Chrétiens et notamment par THÉODOSE II. Cet empereur, mû par la tolérance, vertu cardinale chrétienne, n'hésita pas à demander que l'on détruise tous les temples et lieux de cultes de ceux qui n'étaient pas chrétiens.
Malgré mes dix ans, mon béret, ma cape bleue et mes culottes courtes, je trouvais légitime que certains veuillent s'opposer à des idées qu'ils estimaient fausses ou, pires, infondées, et cela dans la mesure où ces idées étaient proclamées comme LA vérité qui doit régir le monde. Lutter contre l'obscurantisme ne le justifie pas. On aurait pu dire à l'inverse : si Dieu existait, pourquoi s'attaquerait-on à Lui ?
Il est amusant que ce soit justement l'argument massue en faveur de la croyance qui m'ait fait douter. Utiliser un argument aussi faible ne relevait pas de la sottise de son auteur, mais, comme je l'ai plus tard compris, ne s'expliquait que dans la mesure où ledit prêtre me (nous) prenait pour un imbécile supposé avaler n'importe quoi.
Mon petit doute fut néanmoins rapidement dissout dans l'environnement familial et institutionnel, substance suave que je m'efforçais d'ingérer, d'absorber, d'intégrer, avec toute la bonne volonté osmotique de l'enfant. Je ne me rendais pas compte qu'il s'agissait d'un conditionnement. Un formatage qui ne touchait d'ailleurs pas tous les enfants, loin de là, mais qui a fort bien fonctionné sur moi. J'allais à la messe, même parfois en semaine à celle de six heures du matin, je me confessais régulièrement, adolescent je participais à des retraites au monastère d'En Calcat près de Toulouse.
J'étais engagé. Empêtré dans le piège que je m'étais efforcé de refermer sur moi comme un exosquelette. J'étais devenu une sorte de crabe : raide, dur et cassant à l'extérieur mais blanc, tendre, et un peu filandreux dedans.
Le chemin de la libération n'a été ni rapide, ni sans effort, ni simple. L'aventure consistait à me débarrasser de ma carapace pour redonner la priorité à la structure interne jusque-là méprisée.
Après la période de prise de distance adolescente - quatre ou cinq années, il faut bien que jeunesse se passe -, j'effectuais un retour volontaire qui dura trois ans, et pendant lesquels je réalisais un véritable travail de recherche avec un prêtre « moderne ». Mais je ne gobais plus, je reposais la chose sur la table pour l'examiner en détail.
Il me fallut en premier lieu régler la question du grand écart entre les valeurs morales proposées sur lesquelles je m'étais adossé, et celles antagonistes qui se révélaient être les plus partagées par ceux-là mêmes ? sauf exception - qui m'en avaient instruit. Je dus ensuite régler la question fondatrice de la nécessité du divin. Le plus difficile fut certainement d'accepter l'absence de cette nécessité. Je constatai, mais un demi-siècle plus tard, que le grand KANT en personne avait odieusement triché en posant comme postulat cette existence divine pour se débarrasser du problème et dérouler sa pensée.
Placés devant cet infini puzzle de la connaissance et de la compréhension, nous savons bien qu'il nous manque encore ? et pour longtemps - la majorité des pièces. Quoique nous soyons arrivés à assembler quelques éléments, nous ne faisons que découvrir régulièrement que d'autres encore doivent exister dont nous n'avons même pas la moindre idée. Alors que nous pourrions nous réjouir de ces découvertes à faire demain, j'observe que certains en sont inquiets et déstabilisés. Ils se rabattent sur la pièce universelle, l'élément souple qui s'adapte et solidifie l'ensemble, le joker magique. Ils l'appellent Dieu. Sans angoisse devant l'inconnu, je préfère reconnaître nos lacunes.
J'ai ensuite longtemps pensé que j'étais athée. Mais la position n'était pas véritablement tenable. Impossible, en effet, d'affirmer sans rire ou sans mentir la non-existence divine.
Finalement, j'ai opté pour l'agnosticisme qui, seul, admet honnêtement et courageusement le doute - les doutes - comme fondement à toute réflexion, à toute connaissance, et prend en charge notre ignorance.
Cf. Critique, Dissidence, Doute, Foi, Morale, Naïveté, Péché, Politique (fiction), Religion.
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Bidule200 a écrit :
La nécessité du divin est réelle : elle pose comme base l'existence d'une vie après la mort (réincarnation, idylle dans les nuages ou souffrance sous terre, selon ta formule). Elle nous permet d'accepter la mort et d'éviter de sombrer dans le nihilisme le plus destructeur. Car, si tout est fini, oublié, pardonné, si tout est néant une fois qu'on est mort, alors pourquoi se retenir de violer, piller, tuer, pourquoi construire ?
On peut toujours poser un idéal humaniste comme fin en soi, mais au niveau de nos émotions, de nos angoisses, sans Dieu il faut avouer que la mort me fout une trouille bleue.
Mais au final, plutôt vivre dans la crainte d'une réalité injuste que dans le mensonge de l'éternité divine.