Arts de la rue et art dans la ville, instruments des pouvoirs dans l'espace public

Rubrique Ville
Humeur :)
(rédigé en juin 2002)

Il s'agirait d'élucider les rapports que les multiples pouvoirs entretiennent avec l'espace public par l'instrumentation et/ou l'exercice des arts de la rue et de l'art dans la ville.
On s'appuiera sur l'observation de la ville d'Avignon qui, en 2000, chargeait le couturier Christian Lacroix de décliner avec 90 artistes"la beauté, quête éternelle de l'humanité" et qui, soignant son image de "Ville de la beauté", se targue depuis lors du titre de "capitale européenne de la culture".
Observant ce paradoxe d'un art urbain supposé "durable" organisé par une star de l'éphémère haute couture, et plutôt que de distinguer les arts si multiples qui s'expriment en Avignon, nous en distinguerons les acteurs et leurs commanditaires, leurs alliances et leurs oppositions, le partage des temps et des espaces, les publics et les dispositifs de médiation.

Dans l'espace public d'Avignon se joue la représentation d'une comédie urbaine dont la facture respecte la règle classique des trois unités :
• L'unité de lieu (le centre-ville historique ou intra-muros), assurée en gommant de l'image d'Avignon ce qui est jugé "laid" (détruire les tours HLM de la cité Guillaume Apollinaire, effacer les tags) ou extérieur (toute la partie hors-les-murs de la ville), et en re-dessinant la seule partie ancienne (un nouveau "look" pour la rue des Lices et une prochaine OPAH)
• L'unité d'action (sémantisation de l'espace public), dire le beau et procéder à l'embellissement
• l'unité de temps (les six années de la mandature municipale), cadencée par le rituel festivalier et ses spectacles de rues moins cathartiques que "bien-pensants" et consensuels.

C'est ainsi que "le beau" justifie nombre de conflits entre les différents acteurs. Si la plupart des rapports de forces sont orchestrés par la réglementation, on observe que certains affrontements se déroulent hors-la-loi : les taggeurs signent leur mainmise sur le terrain, la mairie fait réaliser le "Pavillon des Saveurs" (un joli projet de l'architecte Gaetano Pesce) sur le rocher des Doms pourtant classé inconstructible, les SDF investissent le bel hôtel particulier de la rue des Infirmières.

Dans cette comédie classique, l'argument du beau et de l'embellissement de la ville semble bien cacher l'enjeu du pouvoir, des pouvoirs. La soi-disant quête éternelle de l'humanité pour la beauté n'est ici qu'un leurre, signe du pouvoir : Thomas d'Aquin ne se demandait-il pas si la beauté pourrait sauver le monde ?
C'est que vouloir "donner du sens" à la ville est absurde : cela suppose qu'elle en serait dépourvue ou plutôt que nous serions incapables (dans l'impossibilité) de lui en attribuer.
Les arts de la ville, instrumentés par le pouvoir et les institutions ont-ils la mission de coller un autre sens, plus acceptable, plus convenable, sur celui reconnu ?
Une sorte de make-up ?

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