DALO : merveille des chiffres

Roger a pris rendez-vous pour une carie chez son dentiste. Pour dans trois semaines. Mais la douleur est trop forte et il se rend chez un autre dentiste.
Ne voyant pas venir Roger, le premier dentiste note : « Roger guéri après prise de rendez-vous ».
Absurde ? Non, c'est statistique !
C'est de cette façon que l'on mesure la réussite de la loi DALO.
Le 2ème rapport du Comité de suivi de la loi livre ses chiffres au 31 août 2009 : en Vaucluse, 197 dossiers déposés, 193 demandes déclarées recevables, 158 dossiers examinés.
12 demandeurs ont trouvé par eux-mêmes un logement avant examen, ils n'ont donc plus besoin de logement.
La commission traite les 146 autres dossiers, prononce 101 rejets, 45 avis favorables.
Au bout du compte, 8 bénéficiaires sur 45 obtiennent un logement. Soit 17%.
Mais la dernière ligne du tableau du rapport fait état de « 20 ménages logés dans la procédure DALO » et l'on atteint le score de 44% de réussite.
Le résultat officiel additionne les 8 demandeurs qui ont obtenu un logement par la loi DALO et les 12 demandeurs qui se sont débrouillés tout seuls sans le Comité. Comme le dentiste de Roger.
Quant aux demandes d'hébergement, le résultat des courses est net : 7 dossiers reçus, tous examinés ! et 7 rejets. Là, c'est encore plus fort : Roger n'avait pas mal aux dents !

Ground zero :

de l'impact des imaginaires collectifs sur les formes urbaines et réciproquement

(rédigé en juin 2002)

Signifiantes des fonctions et des valeurs d'une société, les formes architecturales et urbaines trouvent leur origine dans l'imaginaire. Elles exercent ausssi en retour un «formatage culturel» analogue à la pression des médias. Dans l'espace public de Ground Zero, alors que le déblaiement s'achève, commence déjà la mise en scène de la représentation d'un drame érigé en lien social, ce lien qui réunit, qui sépare, et qui ligote.

1 Chronique d'une sanctification annoncée
En amont de la volonté politique d'instrumenter l'événement, la population US se sent concernée à titre individuel et à titre collectif (selon une étude publiée le 15/11/2001 dans The New England Journal of Medicine, 9 américains sur 10 stressent) . Fait historique, fait politique, fait culturel.
Objectivement, qu'est-ce qui a été détruit ?
Deux tours et quelques bâtiments alentour moins importants, en tous cas, deux tours assez banales et sans esprit ( interview de l'architecte Andres Duany par Daniel Couvreur in Le Soir de Bruxelles du 13/11/2001) de 110 étages, 415 et 417 mètres de haut . La perte est estimée à 100 à 200 milliards $, 5000 morts, 10000 licenciements directs. Ce n'est pas rien.
Mais qui se souvient des 20 000 morts du tremblement de terre d'Anjar en Inde (26/01/2001) ?
L'attentat a transformé un signe en symbole
Béatifié par l'acte sacrificiel, ce qui était le signe et l'instrument d'une puissance et d'un système financier est devenu «a heightened version of heroic capitalism» (Susan S. Szenasy, «Our missing symbol», in Metropolis Magazine, 16.09.01) , le symbole d'une idéologie soudain «héroïque».

2 Mutation de l'espace urbain en lieu cultu(r)el
Les télévisions nous ont montré la destruction des tours. A partir de cet événement tragique, l'Histoire (ou une légende) s'écrit maintenant sous nos yeux par la médiation d'une mise en scène où se joue la construction d'un moi collectif autour d'une «croisade» (dans le champ du symbolique).
Les possibilités sont multiples, les candidats et les projets sont nombreux (voir l'article du Monde du 29/11/2001)
La reconstruction de l'objet est inéluctable.
Dans tous les cas reste présente - mais accessoire - la question du financement, les investisseurs gardant la propriété de leur terrain, donc de leurs droits à re-construire : à l'identique (il ne s'est rien passé), ou plutôt une reconstruction moitié moins haute (50 à 55 étages) dite «moins arrogante» mais «something of spectacular beauty [?] that again will become the icon of New York»(Susan S. Szenasy in Metropolis Magazine, décembre 2001) .
L'attentat ne visait pas les tours en tant qu'objets de béton et d'acier, mais visait le symbole WTC et c'est pourquoi toute la problématique de la reconstruction tourne bien autour de la valeur symbolique, étouffant les rares volontés de repenser Manhattan selon un «sustainable urbanism».
Il s'agit de la réalisation d'un mémorial, pour quelle mémoire ?
Dès la fin septembre, des membres de l'équipe municipale ont travaillé sur un projet de jeux de lumière reconstituant la silhouette des tours dans le ciel nocturne de New York (Lynne Duke, «Six months after, a memorial built on beams of light», in Washington Post , 05.03.2002) .
On parle, on dessine, on écrit aussi beaucoup sur d'autres projets : l'association «The Memorial Process Team», créée à l'initiative de l'architecte Michael Manfredi, compte bien peser sur les décisions, le mensuel City propose de créer au coeur du WTC Plaza un square cerné de statues représentant les sauveteurs, les pompiers et les policiers disparus. D'autres souhaitent utiliser des débris pour construire un monument sur l'Hudson River. Certains veulent laisser en l'état et sur place un pan du squelette des Twin Towers. Les pompiers de New York prévoient un mémorial avec une statue de bronze de 6 mètres de hauteur (budget 180 000 $) et ils se disputent pour définir les ethnies des 3 pompiers de l'allégorie (un blanc, un black et un hispano).
Pourquoi pas un mémorial des Yuppies, un mémorial des tours ou un mémorial des assureurs, et pourquoi pas un mémorial de la repentance vis à vis du tiers-monde ?

3 Des lieux et des symboles

L'Histoire et la géographie sont liées à l'intérieur de la culture. Tous les événements marquants de l'Histoire sont inscrits dans un lieu auquel notre lecture donne une signification.
Il n'y a pas d'événement sans lieu. La localisation valide l'événement : ça a eu lieu.
Ces lieux ont vu leur signification fondée sur un événement auquel on accorde une valeur historique, une valeur d'exemple, une valeur symbolique :


D'autres valeurs sont célébrées qui n'ont pas de lieu événementiel spécifique (la libération, le souvenir des morts, la république ou la nation) et un mémorial est réalisé, ou bien un nom est attribué à un lieu. On associe des lieux réels à des légendes (le vase de Soissons, le pont d'Arcole, Roland à Roncevaux) ou à des impostures (Timisoara). C'est à dire que pour que ce se soit passé, il faut que ce se soit passé quelque part. Il n'y a pas d'histoire sans géographie.
4 L'histoire réifiée sous nos yeux
L'Histoire est écrite à partir de jalons instumentés et configurés, organisés en un discours. Quel sera le discours des Etats-Unis d'Amérique sur soi-même, sur le 11 septembre, sur les agresseurs, sur les idéologies en confrontation, et sur son rapport aux nouvelles menaces d'attentat ?

La ville n'est pas faite que de rues et de bâtiments, de tuyaux d'égoûts et de lignes de bus, d'écoles et de caméras de surveillance : un roman n'est-il fait que de petits signes noirs sur une page blanche ?
De la même façon, la ville réelle n'est qu'un support spatial dans lequel sont organisés des signes, des symboles et des fonctions exprimant et imposant des représentations

Avignon festival 08

Divine comédie

En avant-première du festival, la ville donnait un adorable spectacle enfantin intitulé POS, PLU, PLOUF.
Premier acte : Avignon capitale régionale, ses papes, son Jean Vilar, son Opéra et ses commerces.
Le drame est latent : alors que les populations pauvres sont tapies dans les quartiers, comment empêcher le coeur de ville de devenir un kyste de ville ? Comment le rentabiliser ?
Au second acte, les Gueux sont là qui revendiquent une ville durable et solidaire.
Mais avec l'arrivée des Fées Concurrence, Festival et Spéculation, l'espoir renaît.
Troisième acte, l'héroïne Municipalité maîtrise les Achélèmes et expulse les Ayantdroits, attire les Nantis et les Cadres, repousse les limites de la porte Thiers à Cantarel et finalement sauve la ville qui file le parfait amour avec le dieu Patrimoine.
Un spectacle poignant. Des comédiens inspirés.
Un grand plouf.

Arts de la rue et art dans la ville, instruments des pouvoirs dans l'espace public

(rédigé en juin 2002)

Il s'agirait d'élucider les rapports que les multiples pouvoirs entretiennent avec l'espace public par l'instrumentation et/ou l'exercice des arts de la rue et de l'art dans la ville.
On s'appuiera sur l'observation de la ville d'Avignon qui, en 2000, chargeait le couturier Christian Lacroix de décliner avec 90 artistes"la beauté, quête éternelle de l'humanité" et qui, soignant son image de "Ville de la beauté", se targue depuis lors du titre de "capitale européenne de la culture".
Observant ce paradoxe d'un art urbain supposé "durable" organisé par une star de l'éphémère haute couture, et plutôt que de distinguer les arts si multiples qui s'expriment en Avignon, nous en distinguerons les acteurs et leurs commanditaires, leurs alliances et leurs oppositions, le partage des temps et des espaces, les publics et les dispositifs de médiation.

Dans l'espace public d'Avignon se joue la représentation d'une comédie urbaine dont la facture respecte la règle classique des trois unités :
• L'unité de lieu (le centre-ville historique ou intra-muros), assurée en gommant de l'image d'Avignon ce qui est jugé "laid" (détruire les tours HLM de la cité Guillaume Apollinaire, effacer les tags) ou extérieur (toute la partie hors-les-murs de la ville), et en re-dessinant la seule partie ancienne (un nouveau "look" pour la rue des Lices et une prochaine OPAH)
• L'unité d'action (sémantisation de l'espace public), dire le beau et procéder à l'embellissement
• l'unité de temps (les six années de la mandature municipale), cadencée par le rituel festivalier et ses spectacles de rues moins cathartiques que "bien-pensants" et consensuels.

C'est ainsi que "le beau" justifie nombre de conflits entre les différents acteurs. Si la plupart des rapports de forces sont orchestrés par la réglementation, on observe que certains affrontements se déroulent hors-la-loi : les taggeurs signent leur mainmise sur le terrain, la mairie fait réaliser le "Pavillon des Saveurs" (un joli projet de l'architecte Gaetano Pesce) sur le rocher des Doms pourtant classé inconstructible, les SDF investissent le bel hôtel particulier de la rue des Infirmières.

Dans cette comédie classique, l'argument du beau et de l'embellissement de la ville semble bien cacher l'enjeu du pouvoir, des pouvoirs. La soi-disant quête éternelle de l'humanité pour la beauté n'est ici qu'un leurre, signe du pouvoir : Thomas d'Aquin ne se demandait-il pas si la beauté pourrait sauver le monde ?
C'est que vouloir "donner du sens" à la ville est absurde : cela suppose qu'elle en serait dépourvue ou plutôt que nous serions incapables (dans l'impossibilité) de lui en attribuer.
Les arts de la ville, instrumentés par le pouvoir et les institutions ont-ils la mission de coller un autre sens, plus acceptable, plus convenable, sur celui reconnu ?
Une sorte de make-up ?
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